Les PME sont aujourd'hui confrontées à un double défi : préserver et développer leurs compétences tout en s'adaptant aux transformations technologiques et à la mobilité externe qui, ajoutée aux départs en retraite, délocalisations et autres modalités de télétravail, constituent un risque majeur de perte de savoirs et savoir-faire.
Pour répondre à ces enjeux stratégiques, organiser la transmission des savoir-faire en interne représente une solution concrète pour l’entreprise.
Cette transmission est incontournable quand l'entreprise possède des savoir-faire spécifiques qui ne sont pas accessibles par la formation externe classique. Elle concerne aussi les compétences transversales et managériales qui ne s'acquièrent pas de manière théorique mais en situation réelle de travail. Elle consolide et enrichit également la culture de l'entreprise et l'entraîne dans une démarche d'amélioration continue maîtrisée.
Comment reconnaître, pérenniser et développer ce précieux capital immatériel ?
Comment intégrer et fidéliser de nouvelles recrues avec des prises de poste rapides et efficaces, une acculturation réussie ?
De nouvelles approches ont émergé récemment, bouleversant les schémas traditionnels de gestion des ressources humaines (GRH).
Je souhaite vous présenter en particulier deux approches innovantes qui s'intègrent dans une stratégie globale de développement de l'organisation et de son capital humain, technique et intellectuel. Elles sont complémentaires car elles impliquent en synergie les dimensions individuelles et collective.
Le codéveloppement professionnel permet d'instaurer une culture de l'apprentissage permanent tandis que l'action de formation en situation de travail forme, de manière efficace et accélérée, un salarié à un ensemble de pratiques métier en interne.
Au-delà de la GRH et de la GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences), la démarche implique directement le dirigeant en première instance mais également tous les acteurs de l'organisation.
La qualité des liens relationnels et de la coopération est en effet essentielle à une organisation performante. D'autre part, les technologies de l'information et l'intelligence artificielle doivent soutenir la quantité et la qualité des connaissances et des expertises à transmettre.
En tant que pédagogue, je porte mon attention à la fois sur la qualité des relations humaines et l'efficacité opérationnelle des ressources humaines en action, c'est à dire les compétences à l’œuvre, qu'elles soient spécifiques ou transversales, dans le cadre du projet global de l’entreprise.
Le cadre légal ayant évolué - notamment depuis 2018 avec la loi Avenir Professionnel - il n'est plus nécessaire d'opposer production et formation, bien au contraire ! C'est au cœur de la production que la formation est la plus efficiente.
La formation externe - ainsi que la formation interne lorsqu'elle a lieu dans un espace distinct du poste de travail - a un goût artificiel et ne forme pas concrètement au travail opérationnel. Dispensée à un groupe, elle ne répond pas à la problématique personnelle de chacun des salariés. De fait, les savoirs acquis de cette manière sont peu transférés dans les pratiques quotidiennes.
A contrario, la formation "sur le tas", si elle permet de se familiariser avec les outils et les pratiques internes, n'apporte pas l'encadrement suffisant pour répondre aux difficultés rencontrées par le salarié en situation, consolider ses acquis professionnels et les transposer à des situations nouvelles. Étant informelle, elle ne procure pas les savoirs qui éclairent la pratique. Étant implicite, elle est laborieuse et chronophage.
Quant au tutorat, insuffisamment formalisé, il se heurte souvent aux difficultés de communication entre le tuteur expert qui maîtrise un savoir tacite sans toujours savoir comment le transmettre efficacement et le salarié apprenant qui, ne sachant pas ce qu'il ignore, n'est pas en mesure d'identifier les situations qui lui poseront problème et, plus largement, ne sait pas comment acquérir facilement de nouvelles compétences.
L'Action de Formation En Situation de Travail (AFEST) est une modalité de formation par l'expérience en mode projet. Elle s'inscrit dans une situation professionnelle réelle et répond à un besoin identifié de l'entreprise en termes de compétences.
Elle est indiquée en cas de prise de poste d'un nouvel arrivant ou de départ d'un salarié expérimenté, d’une mobilité interne ou encore quand il y a nécessité de transmettre une compétence à plusieurs personnes pour décharger le spécialiste unique.
Elle débute par une analyse du travail avec l'expert métier qui est accompagné pour identifier finement ses actions réellement menées au-delà de sa fiche de poste. Elle se poursuit par une évaluation avec le salarié apprenant qui est accompagné pour identifier l'état de ses compétences ainsi que ses besoins et difficultés en lien avec les compétences à acquérir. Une progression pédagogique est alors élaborée sur mesure et en cohérence avec les besoins de l’entreprise.
L’AFEST met ensuite le salarié apprenant en situation réelle et lui donne le droit à l'essai. Puis elle lui offre une phase réflexive lui permettant de comprendre la réalité du travail dans sa complexité et de dégager les savoirs théoriques directement nécessaires à une pratique efficiente.
La formation se déroule dans l'environnement de production à raison de courtes sessions d'environ deux heures réparties à intervalles réguliers sur une durée de quelques mois.
Outre que l'AFEST fait effectivement monter un salarié en compétence, elle valorise l'expert métier et consolide son expertise du fait même de sa transmission, elle représente une belle opportunité de cohésion d'équipe et engage tout le collectif dans une culture d'apprentissage et d'évolution.
Un premier projet est l'occasion pour l'entreprise de s'approprier la démarche et d'identifier un référent AFEST interne qui facilitera de nouvelles transmissions d'expertises en situation de travail selon les besoins de l'entreprise.
Le codéveloppement professionnel est une autre modalité de transmission d'expertise et de développement de compétences à partir de retours d'expérience vécue en situation professionnelle et un contexte de résolution de problèmes réels.
Elle particulièrement adaptée à des compétences transversales comme les compétences en gestion, stratégie, leadership... qui nécessitent de la réflexion et s'incarnent dans des relations professionnelles.
"La pratique a des savoirs que la science ne produit pas." C'est ainsi que ses créateurs québéquois, Claude Champagne et Adrien Payette, présentent le processus de formation qu'ils ont mis au point à partir de leurs pratiques de chercheurs en innovation sociale.
Le codéveloppement explicite les savoirs pratiques par des échanges facilités entre pairs (cadres avec cadres, dirigeants avec dirigeants, ingénieurs avec ingénieurs...) qui travaillent ensemble à élaborer des solutions à des problèmes professionnels pour apprendre les uns des autres et améliorer leur pratique.
Il développe également le soutien mutuel et la solidarité, consolide l'identité professionnelle et ouvre le champ des perspectives. Un sentiment d'appartenance au groupe se construit au travers de la poursuite commune d'objectifs choisis au fil des sessions.
Les sessions sont courtes (deux à trois heures) et régulières (toutes les quatre à six semaines) pendant la durée de vie du groupe constitué (de quelques mois à un an). La formation est extrêmement efficace par rapport à des formats plus classiques.
Le codéveloppement accroît l'autonomie des personnes et du groupe : un groupe formé et accompagné peut renouveler la démarche à volonté.
Ces deux modalités de formation sont par nature personnalisées en fonction des besoins de l'entreprise et des salariés.
Les actions courtes et intenses, ainsi que la corrélation forte entre formation et production limite les pertes de productivité habituellement liées aux prestations de formation.
Bon à savoir, ces actions de formation peuvent être éligibles à des financements par les OPCO et d'autres dispositifs de financement public pour les PME de moins de 50 salariés.
Elles rendent les salariés acteurs de leur propre parcours de formation et développent leur autonomie.
En impliquant les salariés et en renforçant la cohésion sociale, elles contribuent au maintien des compétences dans l'entreprise et à son attractivité.
Ces démarches innovantes participent à l'amélioration continue et transforment l'entreprise en organisation apprenante.
L'Action de Formation En Situation de Travail et le codéveloppement professionnel font partie d'une stratégie d'entreprise globale. Plus que des actions de formation, ce sont des axes de transformation.