Introduction
Depuis 1987, les entreprises de plus de 20 salariés ont l’obligation d’intégrer des personnes en Situation de Handicap (SH) dans la proportion de 6% de leur effectif. Pour accompagner les dirigeants au regard de cette obligation, des acteurs tels que Cap Emploi existent afin d’agir sur deux leviers :
- 1 favoriser l’embauche de nouveaux salariés SH (« insertion »)
- 2 aménager ou adapter les postes des salariés SH déjà présents dans l’entreprise (« maintien »).
Ces deux leviers posent un défi de management pour les dirigeants, notamment au regard des relations au sein des collectifs de travail de l’entreprise (opérateurs, chefs d’équipe, management transversal, etc.).
Nous partageons ici trois points de vigilance sur la problématique spécifique du maintien (le second levier cité), et en particulier les questions suivantes : comment repérer des signaux avant-coureurs qui témoignent d’un problème de maintien ? Comment le traiter collectivement ? Quelle posture adopter en tant que manager ?
Ce qui fait mal et ce qu’on en voit
Dans 80 % des cas, le handicap est dit « invisible » (Agefiph 2022).
Le caractère invisible du handicap d’un collaborateur tient non seulement d’une absence de signes observables et tangibles au premier contact, mais surtout à l’absence de signes extérieurs qui pourrait laisser supposer que le collaborateur ressent des difficultés en situation de travail,.
C’est le cas par exemple des maladies chroniques et évolutives (ex : diabète, asthme, cancer…) qui empêchent l’exécution de certaines tâches dans l’urgence et en présence d’aléas. Ceci pose un premier défi pour le manager : comment déjouer les doutes et préjugés inévitables qui peuvent circuler au sein d’un collectif de travail : « tu vois bien qu’il y arrive au final », « ce ne serait pas un peu du chiqué ? ».
Les managers seront tentés de préparer des réunions de sensibilisation générale de leurs collaborateurs autour du handicap. Cette pratique doit, d’une part, éviter de focaliser sur le cas particulier d’un collaborateur (lassé d’être réduit à son seul handicap), et d’autre part faire référence aux situations de travail qui sortent de l’ordinaire et qui posent un problème de fond. Elles permettent en outre de faire certains liens entre les effets sur le maintien au poste et les choix stratégiques en terme d’organisation du travail.
Par ce questionnement implicite des problèmes de fond,
87% des salariés travaillant avec des collègues handicapés estiment que leur présence a permis d’enrichir l’expérience en entreprise (Agefiph 2018)
Du handicap individuel à la prévention globale
Seul 15% des handicaps le sont de naissance, les autres apparaissent au cours de la vie.
Dans de nombreux cas, le handicap survient au cours de la carrière professionnelle (accident ou maladie). La très récente réforme de la santé au travail réaffirme la prépondérance de la prévention des risques ainsi que le rôle d’accompagnement et de conseil des Services de Prévention et Santé au Travail (SPST) mieux connus sous l’appellation médecine du travail (Gouv, 2021).
Cela pose un défi de taille pour le dirigeant qui doit évidemment agir en amont sur la réduction globale de la pénibilité et l’amélioration des conditions de travail, en vue de réduire les accidents ou maladies (et plus généralement l’absentéisme), et éviter des restrictions au poste, voire des inaptitudes.
Sur ce dernier cas, la réglementation prévoit que le dirigeant mette tout en œuvre pour aménager le poste existant ou reclasser sur un autre poste plus adapté aux contraintes.
Dans le cas où ces deux dernières solutions ne seraient pas viables pour la pérennité de l’entreprise, le licenciement serait l’issue finale, avec les conséquences sociales pour le salarié et la perte de compétences pour l’entreprise. Au-delà de ce que prévoit la réglementation, le manager doit comprendre que le défi se joue dans le collectif de travail : dans quelle mesure peut-on aménager un poste d’un collaborateur alors que ses collègues, souvent à proximité, continuent de travailler dans des conditions identifiées comme à l’origine du handicap ?
Il conviendra d’engager simultanément des actions d’aménagement individuel et des actions globales de réduction de la pénibilité. Ceci évitera aussi que le salarié SH ne fasse l’objet de remarques désagréables de suspicion de favoritisme.
Assister ou autonomiser ?
Enfin, il est important de souligner un trait particulier de notre culture française : notre rapport à l’élitisme nous invite parfois à « parquer » les personnes SH en dehors de la sphère des personnes dites « normales », comme l’illustre la condamnation de l’État français par le Conseil de l’Europe à propos de sa politique abusive de placement des personnes autistes (Défenseur, 2014).»).
En entreprise, nous serions tentés d’affecter des zones dédiées aux salariés handicapés et / ou créer des fonctions de suppléance. Ces pratiques ont des limites. Nous décrivons ici la situation d’un salarié SH dont les problèmes lombaires empêchaient la manutention d’un certain composant à certains moments de sa journée de travail.
« Tu n’as qu’à demander à Marcel et à Paul de le faire à ta place au moment que tu as besoin dans la journée. Ils sont d’accord puisque je leur ai demandé ! ».
Inutile de préciser que jamais le salarié SH n’a jamais osé demander de l’aide à ses collègues, non seulement pour ne pas les déranger en permanence, mais aussi pour se sentir pleinement autonome. Son manager ne manquait pas de lui reprocher : « Tu cherches vraiment à te faire mal au dos alors qu’on avait tout prévu pour toi ».